L'origine du lac Saint-Michel, un petit coq noir, un plat de pommes de terre rôties au jus de pomme et à la sauge
Savez-vous l’origine du lac Saint-Michel ? D’aucuns, savants moisis et clercs chafouins, vous diront que les marais et les tourbières du Yeun Elez ont été mis en eau entre 1929 et 1936 pour créer un lac artificiel de quatre cent cinquante hectares… Balivernes et sornettes. Fadaises et calembredaines.
Je vais vous dire un conte aimable,
Vous le croirez : il est croyable.
Et il n’y a dedans rien de faux,
Sinon peut être deux ou trois mots.
Dans les temps anciens alors que les miracles étaient aussi courants que les baptêmes et les enterrements…, il y avait un tout jeune coq noir qui vivait fort agréablement sa jeune vie de poulet dans le poulailler du Gouezou. Il arpentait le hameau, le voisinage, élargissant chaque jour son modeste royaume, picorant quelques épis et grains, avalant quelques lombrics et limaces, engloutissant quelques baies et cotylédons… Grattant un tas de fumier du côté de Botmeur, il découvrit une bourse pleine de louis d’or. Une fois passée sa légitime surprise, fier de sa trouvaille, il entreprit de regagner le Gouezou, longeant les marais. Passant devant la seule ferme des tourbières, il fut hélé par la fermière, hideuse et fielleuse –c’était bien sûr une sorcière-.
- Que portes-tu, petit coq noir?
- Une bourse d’or, répondit-il –assez bêtement, convenons-en ; mais sans cela, point d’histoire-.
- Veux-tu l’échanger contre une belle poignée de froment bien doré ?
- Nenni ! Je veux la garder et la rapporter à mes maîtres au Gouezou s’exclama-t-il –assez aimablement c’est évident-
- J’ajouterai une belle crêpe de blé noir bien croustillante.
- Nenni ! Nenni ! risqua le petit coq noir -dont les bonnes intentions s’émoussaient, la conviction chancelait et que la faim taraudait, car la chair est faible hélas-.
- Comme tu voudras, persifla la perfide créature. Je t’aurai donné par-dessus le marché un gros morceau de pain chaud à la courge, sortant tout juste de mon four…
Incapable de résister plus longtemps, le malheureux céda. Il engloutit bientôt avec un très bel appétit les grains dorés, la crêpe croustillante et le pain chaud. Repu, il regagna son poulailler au Gouezou et conta alors à toute la gent des gallinacées sa bonne fortune. Consternée, sa mère –une très jolie poule replète et avertie- l’apostropha sans façon : « Sombre crétin ! Tu as échangé une fortune contre une poignée de nourriture ! Mais tu es bête comme une oie ma parole ! Quitte immédiatement ce poulailler et ne revient qu’avec la bourse d’or» -il n’y avait pas d’oies en ce temps-là au Gouezou, personne ne fut donc froissé par cette remarque désobligeante sauf le petit coq noir évidemment-. Contrarié et honteux, le rouge au front -c’est une image-, le piteux poulet décampa et repartit vers les marais du Yeun Elez.
En chemin, il rencontra un loup de ses amis -qui était par ailleurs son obligé pour une raison qu’on aura certainement l’occasion de narrer une autre fois- auquel il conta sa mésaventure.
- Que puis-je faire pour te venir en aide ? demanda l’aimable carnassier.
- Rentre dans mon ventre ! répondit le coq qui venait de concevoir un plan machiavélique pour laver son honneur et, surtout, gagner la gloire et regagner son logis. Change-toi en grain d’avoine et je t’avalerai.
Le loup se transforma en grain de blé et le petit coq noir l’engloutit. Puis il poursuivit son chemin.
Ses pas croisèrent ceux d’un renard de ses amis qui souhaita participer à cette vendetta de l’Arrée.
- Change-toi en grain de blé noir et je t’avalerai.
Ainsi fut fait. Le petit coq noir poursuit sa route et, chemin faisant, s’apprêtait à franchir une jolie rivière qui coule dans le bourg de Botmeur.
- Où vas-tu, petit coq noir ?
- Je vais réclamer ma bourse d’or qui m’a été prise par la fermière du Yeun Elez. Si tu veux bien m’aider, je te donnerai un royaume !
- Que faut-il faire ?
- Rentre dans mon ventre ! Change-toi en grain de sable et je t’avalerai.
Ainsi fut fait. La rivière rejoignit donc le loup et le renard alors que le petit coq noir reprenait sa route. Il arriva bientôt devant la porte de la fermière. Il se mit à arpenter la cour et à crier à tue-tête : « Rends-moi ma bourse d’or ! Rends-moi ma bourse d’or ! »
Le fermier irrité perdit rapidement patience :
- Ce petit coq me tape sur les nerfs !
- Enferme-le dans l’étable et demain, nous le mettrons à la broche ! répliqua sa tendre épouse.
Le petit coq noir se laissa enfermer avec le bétail :
- Compère Loup ! Sors de mon ventre et viens te régaler !
Le loup se rua sur les chevaux, les vaches, les moutons et les chèvres et fit un carnage effroyable. Une fois repu et satisfait, il prit la clé des champs. Le fermier arriva sur ces entrefaites et ne put que constater le désastre de cette étable dévastée avec, au beau milieu, le petit coq noir satisfait.
- Je ne sais pas ce qui s’est passé mais tu es certainement responsable ce massacre, éructa le fermier furibond. Je vais t’enfermer dans mon poulailler où mes vieux coqs vont te rosser!
Le petit coq noir se laissa enfermer avec la basse-cour :
- Compère Renard ! Sors de mon ventre et viens te régaler :
Le renard se rua sur les coqs, les poules, les oies et les canards et fit un carnage effroyable. Une fois repu et satisfait, il prit la clé des champs. Le fermier arriva sur ces entrefaites et ne put que constater le désastre de poulailler dévasté avec, au beau milieu, le petit coq noir satisfait.
- C’en est trop ! La bourse d’or ne suffira jamais à réparer ces catastrophes ! Il faut en finir immédiatement avec ce maudit petit coq noir ! Femme, jette le vivant dans ton grand four ! hurla le fermier enragé, enfournant déjà les fagots embrasés.
- Commère Rivière ! s’empressa d’invoquer le petit coq noir. A mon secours car je roussis !
La rivière coula de toutes parts : elle inonda le four, courut dans la basse-cour, envahit l’étable puis la cour de la ferme, emportant sur son passage les restes sanglants du bétail et de la basse-cour ainsi que les deux sorciers, fermier et fermière concupiscents, qui se transformèrent tous en une multitude de brochets et de truites. In extremis, le petit coq noir –qui avait de la suite dans les idées- se saisit de la bourse d’or cachée dans une pile de draps de lin alors que la rivière enflait, emportait la ferme, emplissait le marais puis les tourbières jusqu’à devenir le plus grand lac de Bretagne aux eaux pures et glacées.
Sur le chemin du retour vers son poulailler qui lui manquait tant, le petit coq noir vengé salua la rivière devenu lac immense, le renard replet et le loup dodu et regagna le hameau du Gouezou. On le porta en triomphe dans tout le village, on lui fit une fête méritée et on mit les petits plats dans les grands. On servit un plat profond, gourmand et tout fumant généreusement garni de pommes de terre rôties au lard, à la sauge et au jus de pomme.
Et le conte continue, et continue, et continue jusqu'à se noyer dans le lac de l’Arrée…
Pour 6 convives, le petit coq noir, le loup, le renard et tout le Gouezou:
2 kg de pommes de terre bio
2 citrons jaunes bio
Un gros bouquet de sauge et de romarin
Quelques feuilles fraîches de laurier
500 gr d’échalotes grises
50 gr de beurre demi-sel bio et cru
250 gr de jus de pomme bio
Poivre du moulin
Eplucher les pommes de terre et les précuire une quinzaine de minutes à l’eau bouillante salée ou à la vapeur.
Préchauffer le four sur 200°, chaleur tournante.
Dans un grand plat à gratin, placer le beurre, les échalotes émincées et enfourner pour une vingtaine de minutes, le temps pour les échalotes de rôtir gentiment.
Ajouter ensuite les herbes puis les pommes de terre précuites et égouttées et enfin le jus de pommes. Poivrer fortement et enfourner pour une bonne demi-heure, jusqu’à ce que les pommes de terre terminent leur cuisson et dorent joliment. Servir avec des boulettes, des grillades, et une jolie petite salade de pousses (épinards, nombril de Vénus, etc.)…